Cinquième partie

... dans les siècles
des siècles,
amen

Certaines choses s’éclairent au crépuscule

et font d’un chagrin un Rembrandt.

Mais, le plus souvent, la fuite du temps

n’est qu’une facétie du destin. Le papillon de nuit

ne peut rire quand ses ailes prennent feu.

Quelle aubaine,

les mythes sont morts.

Stan Rice, 1983

Miami.

Une cité de vampires, chaude, grouillante, poignante de beauté. Une tour de Babel, une foire d’empoigne, un terrain de jeu. Où les paumés et les rapaces sont enfermés dans des rapports pervers, où le ciel appartient à tous et la plage s’étend à perte de vue, où les lumières éclipsent la voûte céleste et la mer s’offre aussi chaude que le sang.

Miami, le paradis du diable.

C’est pourquoi nous sommes ici, sur l’île de Nuit, dans la grande villa blanche d’Armand, ouverte sur la nuit tropicale.

A l’horizon, de l’autre côté de l’eau, Miami nous fait signe. Nos victimes nous y attendent – maquereaux, voleurs, dealers, tueurs. La faune obscure. Pas tout à fait aussi malfaisante que moi, mais presque.

Armand y était parti en compagnie de Marius au coucher du soleil, mais tous deux étaient de retour. Armand jouait aux échecs avec Santino dans le salon, tandis que Marius lisait, assis comme à l’accoutumée dans le fauteuil de cuir près de la fenêtre qui donnait sur la plage.

Gabrielle n’était pas encore apparue ; depuis le départ de Jesse, elle s’isolait souvent.

Khayman discutait dans le bureau du rez-de-chaussée avec Daniel ; Daniel qui aimait sentir grandir sa faim, qui voulait tout savoir de la Milet[9] antique, d’Athènes et de Troie. Oh, oui ! n’oublie pas Troie. Moi-même, j’étais vaguement intrigué par les légendes de cette ville.

J’aimais bien Daniel. Peut-être m’accompagnerait-il plus tard si je lui demandais ; si je me décidais enfin à quitter cette île, ce que je n’avais fait qu’une fois depuis mon arrivée. Daniel, qui s’amusait encore du sillon que traçait la lune sur la surface de l’eau, des embruns sur sa figure. Pour lui, toute cette aventure, même sa mort à elle, n’avait été qu’un spectacle. Mais qui pourrait l’en blâmer ?

Pandora vivait rivée à l’écran de télévision. Marius lui avait choisi la tenue dernière mode qu’elle portait : un chemisier de satin, des bottes hautes, une jupe droite en velours. Il avait paré ses poignets de bracelets et ses doigts de bagues, et chaque soir il brossait sa longue chevelure brune. Parfois il lui offrait des parfums, mais comme il ne défaisait pas les paquets, ceux-ci s’empilaient intacts sur la table. Elle regardait avec la même fascination qu’Armand défiler les films vidéo et n’interrompait sa contemplation que pour aller dans la salle de musique effleurer un instant les touches du piano.

J’admirais son jeu dont les variations fluides évoquaient l’Art de la fugue. Mais contrairement aux autres, elle m’inquiétait. Tous s’étaient remis plus vite que je ne l’aurais imaginé. Sans doute était-elle déjà meurtrie avant même que cette histoire ne débute.

Pourtant, elle se plaisait dans cet endroit. J’en étais certain. Comment aurait-elle pu ne pas s’y plaire ? Tous nous nous y sentions bien. Même Gabrielle.

Des pièces blanches décorées de somptueux tapis persans et de tableaux des plus grands maîtres – Matisse, Monet, Picasso, Giotto, Géricault. On aurait pu passer un siècle à admirer ces peintures. Armand les changeait constamment, les intervertissant, montant de nouveaux trésors de la cave, intercalant quelques esquisses ici et là.

Jesse aussi avait adoré ce lieu, bien qu’elle fût maintenant partie rejoindre Maharet à Rangoon.

Elle était entrée dans mon bureau et m’avait raconté sans détour sa version des événements, me recommandant de changer les noms et de ne pas citer Talamasca, recommandations dont bien sûr je n’avais nullement l’intention de tenir compte. J’avais écouté avec attention son récit, tout en sondant son esprit pour y découvrir les menus détails qu’elle omettait. Puis j’avais confié le tout à mon ordinateur pendant qu’elle m’observait, songeuse, laissant errer son regard sur les rideaux de velours anthracite, la pendule vénitienne, les couleurs froides du Morandi accroché au mur.

Elle se doutait, je crois, que je ne ferais pas ce qu’elle m’avait demandé. Elle savait également que ça n’avait pas d’importance. Vraisemblablement, les gens ne croiraient pas plus à Talamasca qu’en notre existence. A moins que David Talbot ou Aaron Lightner ne les contactent comme ils l’avaient fait pour elle.

Quant à la Grande Famille, il était peu probable que quiconque la considère autrement qu’imaginaire, avec ici et là un élément de vérité, à condition bien sûr de tomber sur le livre.

C’était ce que tout le monde avait pensé d’Entretien avec un Vampire et de mon autobiographie, et il en irait de même pour La Reine des Damnés.

Et ça valait mieux ainsi. Même moi, j’en suis convaincu aujourd’hui. Maharet avait raison. Nous n’avons pas notre place sur cette terre. Pas plus que Dieu ou le diable. Le surnaturel devrait se limiter au domaine de la métaphore – que ce soit la célébration de la grand-messe dans la cathédrale Saint Patrick, le chant de Faust vendant son âme ou le spectacle d’une star du rock prétendant être Lestat le vampire.

 

Tout le monde ignorait où Maharet avait emmené Mekare. Même Éric sans doute, bien qu’il fût parti avec elles deux en promettant à Jesse de la retrouver à Rangoon.

Avant de quitter Sonoma, Maharet m’avait surpris par une petite phrase : « Tâche d’être fidèle quand tu raconteras la Légende des Jumelles. »

Était-ce une autorisation, ou seulement une marque de sa superbe indifférence ? Je n’en sais fichtre rien. Je n’avais parlé à personne du livre. J’en avais seulement rêvé durant ces longues heures atroces où j’étais incapable de le concevoir autrement qu’en termes généraux – comme une succession de chapitres, une carte du mystère, une chronique de la séduction et de la douleur.

Ce dernier soir, quand elle m’avait rejoint dans la forêt, Maharet m’avait paru pleine de vie et pourtant énigmatique, toute de noir vêtue, avec son maquillage de circonstance, comme elle l’appelait – ce masque subtil qui la métamorphosait en une mortelle infiniment séduisante et capable de soulever l’admiration des humains sur son passage. Comme sa taille était fine et ses longues mains gracieuses dans ces gants de chevreau noir. Elle s’était frayé précautionneusement un chemin à travers les fougères et les tendres baliveaux, alors qu’elle aurait pu d’un doigt renverser des troncs énormes.

Elle revenait de San Francisco où elle avait flâné avec Jessica et Gabrielle dans des rues bordées de maisons joyeusement éclairées, sur des trottoirs étroits et propres, là où vivaient les gens, avait-elle dit. Son discours était vif, spontanément moderne, si différent de celui de la femme intemporelle que j’avais rencontrée pour la première fois dans la pièce au sommet de la montagne.

Pourquoi fuyais-je les autres, m’avait-elle demandé en s’asseyant à côté de moi près du petit ruisseau qui bondissait au beau milieu des séquoias ? Pourquoi refusais-je d’échanger le moindre mot avec eux ?

Aujourd’hui encore, ils me harcèlent de ces mêmes questions.

Même Gabrielle qui d’ordinaire est aussi avare de questions que de confidences. Ils veulent savoir quand je me déciderai à émerger de ce cauchemar, quand je discuterai de ce qui est arrivé et arrêterai de noircir des pages à longueur de nuit.

Maharet avait affirmé que nous la reverrions très bientôt. Nous pourrions peut-être venir au printemps dans sa maison en Birmanie. A moins qu’elle ne nous surprenne un soir dans l’île de Nuit. Mais l’important était de ne jamais nous couper les uns des autres ; nous avions le moyen de nous retrouver, quel que fût l’endroit du monde où nous menaient nos errances.

Oui, sur ce point du moins, nous étions tous d’accord. Même Gabrielle, la solitaire, la vagabonde.

Personne ne tenait à être englouti de nouveau dans l’abîme du temps.

Et Mekare ? La reverrions-nous ? Partagerait-elle notre existence ? S’assiérait-elle jamais avec nous autour d’une table ?

Je ne l’avais aperçue qu’une seule fois après cette nuit terrible. Et sans que je m’y attende, alors que je traversais la forêt dans la lumière mauve de l’aube pour rentrer à Sonoma.

Une nappe de brume s’étirait, plus claire au-dessus des fougères et des rares fleurs hivernales, presque phosphorescente autour des troncs géants.

Les jumelles avaient surgi de cette ouate vaporeuse et étaient descendues, enlacées, jusqu’au ruisseau dont elles avaient longé le lit, Mekare dans une longue robe de laine aussi somptueuse que celle de sa sœur, sa chevelure soyeuse lui tombant sur les épaules et la poitrine.

Maharet avait sans doute murmuré une phrase à l’oreille de sa sœur, car celle-ci s’était arrêtée pour me fixer, ses yeux verts agrandis, son visage effrayant de blancheur.

J’avais senti ma peine, tel un vent brûlant sur mon cœur. Extasié, suffoqué d’une douleur qui me dévorait les poumons, je l’avais contemplée, je les avais contemplées toutes les deux.

J’ignore quelles étaient mes pensées, je me souviens seulement que la souffrance était intolérable et que Maharet m’avait signifié d’un petit geste tendre que mieux valait poursuivre mon chemin. Le matin se levait. La forêt s’ébrouait, et ce moment précieux de nos nuits vagabondes allait s’achever. La douleur avait desserré son étreinte, et je l’avais laissé s’envoler, comme un soupir qui m’aurait échappé.

Avant de m’éloigner, j’avais quand même tourné la tête pour regarder leurs deux silhouettes suivre le cours du ruisseau argenté, deux silhouettes noyées dans le fracas mélodieux de l’eau qui dévalait entre les rochers.

L’image du rêve s’était un peu effacée. Et quand je pense à elles désormais, ce n’est plus au festin funéraire, mais aux deux sylphides dans la forêt, quelques nuits avant que Maharet ne quitte Sonoma en emmenant Mekare.

Leur départ me réjouissait, car il signifiait que le nôtre était proche. Je me moquais pas mal de ne jamais remettre les pieds à Sonoma. J’y avais souffert le martyre, même si les premières nuits avaient été les pires.

Très vite, le mutisme meurtri des autres avait fait place à d’interminables discussions au cours desquelles ils s’efforçaient d’interpréter ce dont ils avaient été témoins. Comment cette chose avait-elle été transférée au juste ? Avait-elle abandonné les tissus détruits du cerveau pour courir dans le système sanguin de Mekare jusqu’à ce qu’elle trouve l’organe adéquat ? Et le cœur, quel rôle avait-il joué dans cette mutation ?

Molécule, nucléole, soliton, protoplasme, tout le scintillant jargon moderne ! Allons donc, nous sommes des vampires, que je sache ! Nous nous engraissons du sang des vivants. Nous tuons et nous aimons ça, que ce soit ou non une nécessité.

Je ne supportais pas leurs palabres. Je ne supportais pas leur curiosité maladive. Comment était-ce avec elle ? Qu’avez-vous fait durant ces quelques nuits ? Je n’arrivais pas à les fuir non plus. Je n’en avais pas la volonté. Quand j’étais avec eux, je tremblais, quand j’étais seul également.

La forêt n’était pas assez profonde pour moi. J’errais pendant des heures parmi les séquoias géants, à travers les champs bordés de chênes rabougris, avant de m’enfoncer de nouveau dans les bois humides et impénétrables. Mais leurs voix n’en continuaient pas moins de me poursuivre. Celle de Louis qui avouait avoir perdu conscience durant ces minutes horribles ou celle de Daniel qui déclarait nous avoir entendus à travers un brouillard. Par contre, Jesse, blottie contre Khayman, avait assisté à tout.

Combien de fois avaient-ils médité sur l’ironie de ce drame – sur le fait que Mekare eût abattu son ennemie d’un geste humain, et que dans son ignorance de nos pouvoirs invisibles, elle l’eût frappée comme n’importe quel mortel aurait pu le faire, mais avec une rapidité et une force surhumaines.

Une parcelle de son être survivait-elle dans Mekare ? Ou bien son âme avait-elle été enfin libérée quand son cerveau avait été arraché ? C’était la seule chose que je voulais savoir. Peu m’importait la « poésie de la science », comme Maharet appelait le savoir moderne.

Parfois, enfoui dans le dédale obscur des caves creusées d’alvéoles monacaux, je me réveillais, persuadé qu’elle était à mes côtés. Je sentais ses cheveux contre ma joue, ses bras autour de moi. Je distinguais l’éclat sombre de son regard. Hélas, je tâtonnais dans le noir pour ne rencontrer que les murs de brique humides.

Alors je demeurais étendu à songer à cette vision qu’elle m’avait imposée de la pauvre Bébé Jenks montant en vrille vers le ciel. Je voyais les lumières multicolores qui l’enveloppaient tandis qu’elle penchait sa frimousse vers la terre pour la dernière fois. Comment Bébé Jenks, cette misérable petite motarde, aurait-elle pu inventer pareil mirage ? Peut-être en effet retournons-nous tous là d’où nous venons.

Comment le savoir ?

Aussi restons-nous immortels. Effrayés. Ancrés à ce que nous pouvons maîtriser. Et la roue tourne, le cycle recommence : des vampires ont survécu. Un nouveau phalanstère s’organise.

 

Comme une tribu de gitans, nous avions quitté Sonoma, caravane scintillante de voitures noires striant la nuit américaine. Ce fut durant cet interminable trajet qu’ils me racontèrent tout ; d’eux-mêmes et parfois involontairement quand ils discutaient entre eux. Telle une mosaïque, les éléments s’assemblaient. Même lorsque je somnolais contre la garniture de velours bleu, leurs propos, leurs visions me pénétraient.

En avant pour les marécages du Sud de la Floride, pour la splendide ville décadente de Miami, parodie du ciel comme de l’enfer !

Aussitôt arrivé, je m’étais enfermé dans cette petite suite meublée avec goût : sofas, tapis, tableaux aux tons pastel de Piero della Francesca ; ordinateur installé sur la table ; musique de Vivaldi diffusée par de minuscules baffles encastrés dans les murs ; escalier privé menant à la cave où dans la crypte revêtue de plaques d’aluminium attendait le cercueil : laque noire, poignées de cuivre, doublure incrustée de dentelle ; allumettes et bougies sur une tablette.

La soif me tenaille. Mais tu n’as pas besoin de sang ! Impossible de résister pourtant, et il en sera toujours ainsi ; tu ne te débarrasseras jamais de ce désir ; il est encore plus violent qu’avant.

Quand je n’écrivais pas, je m’étendais sur le divan de brocart gris et je regardais les palmes de la terrasse frissonner sous la brise, j’écoutais bavarder mes compagnons à l’étage au-dessous.

Louis priant poliment Jesse de lui décrire une fois encore l’apparition de Claudia. Jesse murmurant, pleine de sollicitude : « Mais, Louis, c’était une hallucination. »

Gabrielle regrettait Jesse, maintenant qu’elle était partie. Toutes deux avaient passé des heures à se promener sur la plage. Elles n’échangeaient pas un mot, apparemment. Mais comment en être certain ?

Gabrielle s’évertuait à me dérider : elle laissait flotter ses cheveux, parce qu’elle savait que je la préférais coiffée ainsi ; chaque nuit, elle faisait un tour dans ma chambre avant de disparaître au lever du jour. De temps à autre, elle me scrutait d’un regard anxieux.

— Tu songes à t’en aller, n’est-ce pas ? avais-je dit une fois craintivement.

— Non. Je me plais ici. J’y suis bien.

Quand l’envie de bouger devenait trop forte, elle s’embarquait pour les îles, qui n’étaient pas tellement loin. Elle aimait bien les îles. Mais ce n’était pas de ses escapades qu’elle avait envie de parler. Elle avait autre chose en tête. Une nuit, elle l’avait presque formulé : « Mais dis-moi...» Puis elle s’était interrompue.

— Est-ce que je l’aimais ? avais-je poursuivi à sa place. C’est ça que tu veux savoir ? Oui, je l’aimais.

N’empêche que je ne pouvais toujours pas prononcer son nom.

 

Mael allait et venait.

Parti depuis une semaine, il avait réapparu ce soir, et il essayait en bas d’engager la conversation avec Khayman. Khayman qui nous fascinait tous. Le Premier Sang. Cette immense réserve de pouvoir. Et penser qu’il avait arpenté les rues de Troie !

Sa vue nous plongeait dans une surprise continuelle, si toutefois ces deux termes ne sont pas contradictoires.

Il se donnait beaucoup de mal pour paraître humain. Dans un endroit chaud comme celui-ci, où les vêtements lourds attirent les regards, ce n’est pas facile. Parfois il s’enduisait d’un pigment sombre – un mélange de terre de Sienne brûlée et d’huile odorante. C’était criminel de s’enlaidir de la sorte. Mais sinon comment aurait-il pu fendre la foule telle une lame glissante ?

Épisodiquement, il frappait à ma porte.

— Tu vas te décider à sortir de ton antre ? me demandait-il.

Il examinait les feuilles empilées à côté de l’ordinateur, le titre en caractères gras : La Reine des Damnés. Il restait là, m’ouvrant son esprit, me laissant y chercher des bribes de souvenirs à demi effacés. Ça lui était bien égal. Je l’intriguais visiblement. Pourquoi, je n’en avais pas la moindre idée. Que voulait-il de moi ? Au bout d’un moment, il souriait de cet étonnant sourire angélique.

De temps à autre, il sortait le bateau d’Armand et, allongé sous les étoiles, il se laissait dériver dans le golfe. Une fois, Gabrielle l’avait accompagné, et j’avais été tenté de capter leurs paroles à travers les eaux. Mais je n’en avais rien fait. C’était malhonnête, avais-je pensé.

Il lui arrivait de nous confier qu’il craignait de perdre la mémoire ; cette crise d’amnésie surviendrait soudain, et il ne serait plus capable de retrouver son chemin jusqu’à l’île. Mais les crises précédentes étaient à mettre sur le compte de la souffrance, or il était heureux à présent. Il tenait à ce que nous le sachions : il était si heureux en notre compagnie.

Ils avaient signé une sorte de pacte, en bas : peu importait où ils iraient, ils reviendraient toujours à la villa. Ce serait leur refuge, leur sanctuaire. Plus jamais ils n’erreraient dans la solitude.

Ils avaient fixé les règles de cette communauté naissante. Personne ne devait engendrer d’autres vampires. Personne non plus ne devait écrire de nouveaux livres – et ce en dépit du fait, ils en étaient conscients, que je m’y employais en glanant silencieusement le maximum de renseignements, et nonobstant ma tenace mauvaise volonté à me plier à une quelconque discipline.

Ils étaient soulagés de voir que Lestat le vampire ne faisait plus la une des journaux, que la débandade du concert était oubliée. Pas de cadavres, pas de préjudices certains. Une affaire royalement étouffée : mon groupe, à qui j’avais distribué ma part des bénéfices, se produisait désormais sous son ancien nom.

Quant aux émeutes – la brève ère des miracles –, elles avaient aussi sombré dans l’oubli, même si le mystère restait entier.

Non, terminées les révélations, les tourmentes, les interventions, tel était le vœu général. Et par pitié, dissimulez les corps de vos victimes.

Ils ne cessaient de seriner à ce jeune fou de Daniel que même dans la jungle ripailleuse de Miami, on ne saurait être trop prudent avec les reliefs des repas.

Ah, Miami, entendre de nouveau la sourde clameur des foules désespérées, le ronflement de toutes ces machines ! Quelques minutes plus tôt, étendu sur le divan, je m’étais laissé envahir par ses voix. J’aurais pu contrôler ce déferlement, tamiser ou au contraire amplifier ces sons discordants. Cependant je ne m’y étais pas essayé, incapable que j’étais d’utiliser avec conviction ce pouvoir – au même titre que je me refusais d’user de ma puissance récemment découverte.

Mais j’aimais être à proximité de cette ville. J’aimais sa sordidité et son éclat, les vieux hôtels lépreux et les tours pailletées de lumières, ses vents suffocants, sa décadence. Je prêtais de nouveau l’oreille à cette symphonie urbaine, ce bourdonnement lancinant.

— Pourquoi n’y vas-tu pas, alors ?

Marius.

Je levai le nez de mon ordinateur. Lentement, histoire de l’agacer, bien qu’il fût le plus patient des immortels.

Il se tenait adossé au montant de la porte-fenêtre, les bras croisés. Miami scintillait derrière lui. Avait-il existé dans l’Antiquité une merveille comparable à cette cité hérissée de tours qui luisaient comme les cheminées innombrables d’un paquebot géant.

Ses cheveux étaient coupés court, et il portait des vêtements d’aujourd’hui, élégants dans leur simplicité : un costume de soie grise et, seule touche rouge, la couleur qu’il affectionnait, une chemise pourpre à col montant.

— J’aimerais que tu abandonnes ton bouquin et que tu nous rejoignes un moment, dit-il. Tu es claquemuré dans cette pièce depuis plus d’un mois.

— Il m’arrive d’en sortir.

Ses yeux bleu fluorescent me fascinaient.

— Ce livre, reprit-il, dans quel but l’écris-tu ? Tu pourrais au moins me l’expliquer.

Je ne répondis pas. Il insista, avec tact toutefois.

— Les chansons et l’autobiographie ne t’ont pas suffi ?

Je tentai de déterminer ce qui lui donnait un air aussi aimable. Peut-être les minuscules rides qui se dessinaient encore au coin de ses paupières, les petits plis qui apparaissaient et disparaissaient sur son visage quand il parlait.

Ses yeux, semblables par leur grandeur à ceux de Khayman, étaient également saisissants.

Je me retournai vers l’écran de mon ordinateur. L’image électronique du langage. Le livre était presque achevé. Et ils étaient tous au courant, ils l’avaient été depuis le début. C’est pourquoi ils m’avaient fourni tant de renseignements, tapant à ma porte, entrant, bavardant un instant avant de se retirer.

— Alors pourquoi en parler ? dis-je. Je veux consigner ce qui est arrivé. Tu le savais quand tu m’as raconté comment ça c’était passé pour toi.

— En effet, mais à qui est destiné ce récit ?

Je songeai à tous les fans le soir du concert ; à ma célébrité, puis à cette abomination dans les villages, quand j’étais devenu un dieu anonyme. J’eus froid soudain, en dépit de la tiède caresse de la brise marine. Avait-elle eu raison de nous traiter d’égoïstes, de prédateurs avides ? De déclarer que nous avions tout intérêt à ce que le monde ne change pas ?

— Tu connais la réponse à cette question, fit-il.

Il se rapprocha et posa la main sur le dossier de ma chaise.

— Ce rêve était dément, n’est-ce pas ? demandai-je, le cœur serré. Il ne se serait jamais réalisé, même si nous l’avions proclamée déesse et nous étions pliés à ses ordres.

— Une aberration. Ils l’auraient arrêtée et détruite aussitôt.

Un silence.

— Le monde l’aurait rejetée, ajouta-t-il. C’est ce qu’elle se refusait à comprendre.

— Je crois qu’elle a eu conscience à la fin de n’avoir aucune place dans ce monde, aucun moyen d’imposer sa voie. Elle l’a su quand elle a lu dans nos regards cette résistance qu’elle ne pourrait jamais vaincre. Elle avait choisi avec tant de prudence les lieux de ses apparitions, des lieux aussi primitifs et intemporels qu’elle.

Il hocha la tête.

— Tu vois que tu connais la réponse à ta question. Alors pourquoi continuer à te tourmenter ? Pourquoi t’enliser dans ton chagrin ?

Je me tus. Ses yeux de jais me scrutaient. Pourquoi ne peux-tu croire en moi ? m’implorait-elle.

— Tu m’as pardonné ? interrogeai-je soudain Marius.

— Tu n’étais pas responsable, dit-il. Elle attendait son heure, elle guettait. Tôt ou tard, sa volonté se serait éveillée. Cette menace planait depuis toujours. Ce réveil a été accidentel, tout comme sa métamorphose autrefois.

Il poussa un soupir ; l’amertume refluait en lui, comme lors des premières nuits après ce cauchemar où il avait souffert le martyre, lui aussi.

— J’ai toujours pressenti ce danger, murmura-t-il. Peut-être avais-je envie de croire qu’elle était vraiment une déesse. Jusqu’à ce qu’elle se lève de son trône, qu’elle me parle, qu’elle sourie.

Il avait l’esprit ailleurs de nouveau, il songeait à cet instant avant que la glace ne s’écroule et ne l’emprisonne.

Il recula à pas lents, puis sortit sur la terrasse et contempla la plage. Ses mouvements étaient si aisés. Les anciens s’accoudaient-ils ainsi aux balustrades de pierre ?

Je me levai et le rejoignis. Par-delà la nappe d’eau sombre, j’admirai les reflets miroitants de la ligne d’horizon. Je le regardai, lui.

— Sais-tu ce que c’est de ne plus porter ce fardeau ? murmura-t-il. De se sentir pour la première fois libre ?

Je ne répondis pas. Mais je comprenais bien sûr ce qu’il ressentait. Pourtant j’avais peur pour lui, peur peut-être que ce fardeau n’ait été l’amarre qui le rattachait à l’existence, au même titre que la Grande Famille pour Maharet.

— Non, répliqua-t-il vivement. C’est comme si une malédiction avait été levée. Aussitôt réveillé, je me dis que je dois descendre dans le mausolée, allumer l’encens, disposer les fleurs, leur parler, essayer d’apaiser la souffrance peut-être tapie à l’intérieur de leur corps. Puis je prends conscience de leur disparition. Tout est terminé, révolu. Je suis libre d’aller où je veux, de faire ce que je veux.

Il s’interrompit, absorbé dans ses pensées, les yeux fixés sur les lumières.

— Et toi ? reprit-il. Pourquoi n’es-tu pas libéré ? J’aimerais tant te comprendre.

— Tu me comprends. Tu m’as toujours compris, répondis-je en haussant les épaules.

— Tu brûles d’insatisfaction. Et nous ne pouvons rien pour toi, n’est-ce pas ? C’est de leur amour dont tu as besoin.

Il esquissa un geste en direction de la ville.

— Vous m’aidez. Tous autant que vous êtes. Je ne m’imagine pas vous quittant, pas pour très longtemps, en tout cas. Mais, tu sais, quand j’étais sur scène, à San Francisco...

Je ne poursuivis pas ma phrase. A quoi bon, puisqu’il ignorait tout de cette expérience. Ce moment avait été le plus précieux de mon existence jusqu’à ce que le maelström s’abatte sur moi et m’emporte.

— Même s’ils ne t’ont jamais cru ? demanda-t-il. Ils te tenaient seulement pour un homme de scène et un parolier génial, comme ils disent ?

— Ils connaissaient mon nom ! C’était ma voix qu’ils entendaient ! C’était moi qu’ils voyaient sous les feux de la rampe !

Il hocha la tête.

— Et tu persistes avec ta Reine des Damnés, conclut-il.

Silence.

— Viens dans le salon, insista-t-il. Accepte notre compagnie. Parle-nous de ce qui s’est passé.

— Tu y étais, non ?

Sous son masque impassible, je le sentis soudain perplexe, curieux. Il ne me quittait pas des yeux.

Je songeai à Gabrielle, à cette façon qu’elle avait de me poser une question pour s’interrompre en plein milieu. Puis tout devint limpide. J’avais été idiot de ne pas m’en apercevoir plus tôt. Ils voulaient savoir quels pouvoirs elle m’avait donnés, dans quelle mesure son sang m’avait transformé. Et pendant tout ce temps, j’avais gardé pour moi ce secret, je le gardais encore. De même que la vision des cadavres disséminés dans le temple d’Azim. Le souvenir de l’extase que j’avais éprouvée à tuer tous les hommes sur mon chemin. Et aussi ces minutes terribles et ineffaçables de sa mort, quand je n’avais pu me résoudre à me servir de mes dons pour la secourir !

Et à présent, le cauchemar reprenait de plus belle, l’angoisse de son agonie. M’avait-elle vu, allongé si près d’elle ? Avait-elle eu conscience de mon refus de l’aider ? Ou avait-elle rendu l’âme dès le premier coup porté ?

Marius suivait d’un regard distrait les minuscules bateaux qui cinglaient vers le port. Il dénombrait les siècles qu’il lui avait fallu pour acquérir les pouvoirs qu’il possédait aujourd’hui. Au bout d’un millénaire seulement, il avait été capable de s’élever dans les airs et se mêler aux nuages sans entrave ni peur. Il songeait à quel point ces aptitudes varient d’un immortel à un autre. Personne ne connaît le pouvoir recelé par les autres, peut-être même pas le sien propre.

Une méditation fort civile. Mais pour l’instant, je ne pouvais pas plus me fier à lui qu’à n’importe qui d’autre.

— Écoute, dis-je, laisse-moi à mes regrets quelque temps encore. Laisse-moi forger mes sombres images, vivre en compagnie des mots. Plus tard, je me joindrai à vous. Peut-être me plierai-je à vos règles. Du moins certaines d’entre elles, qui sait ? A propos, que ferez-vous si je ne m’y soumets pas ?

Il resta interloqué.

— Tu es la plus maudite des créatures, souffla-t-il. Tu me fais penser à Alexandre le Grand qui, raconte-t-on, aurait pleuré quand il n’a plus eu d’empires à conquérir. Pleureras-tu, toi aussi, quand tu n’auras plus de règles à enfreindre ?

— Oh, mais il y en a toujours.

Il rit en sourdine.

— Brûle ce livre.

— Non.

Nous nous dévisageâmes un moment. Puis je l’étreignis affectueusement et lui souris. Je ne savais même pas pourquoi, sinon qu’il était si patient et honnête, et qu’il avait profondément changé, comme nous tous, mais que pour lui comme pour moi, le choc avait été cruel et douloureux.

Et aussi à cause de cette affaire de combat sempiternel entre le bien et le mal qu’il concevait exactement de la même façon que moi, pour la bonne raison que c’était lui qui m’avait appris à le comprendre des années auparavant. Lui qui m’avait expliqué comment nous devons perpétuellement nous battre, sans rechercher la solution la plus simple, mais en la redoutant au contraire.

Je l’avais embrassé également parce que je l’aimais, que j’avais eu envie de me rapprocher de lui et que je ne voulais pas qu’il s’en aille furieux et déçu.

— Tu obéiras aux règles ? me demanda-t-il soudain d’un ton menaçant et ironique où se mêlait peut-être une pointe d’affection.

— Bien sûr ! répliquai-je avec désinvolture. Tu peux me les rappeler, à propos ? Je les ai oubliées. Ah Oui, ne pas engendrer de nouveaux vampires ni se balader sans semer des petits cailloux derrière soi, et camoufler nos agapes.

— Tu es un démon, Lestat. Un vaurien.

Je lui touchai légèrement le bras de mon poing ferme.

— Tu permets que je te pose une question ? Ce tableau que tu as peint, La Tentation d’Amadeo, celui qui est dans la crypte de Talamasca...

— Oui ?

— Ça te plairait de le récupérer ?

— Seigneur, non ! C’est une toile lugubre, ma période noire, pourrait-on dire. Mais je ne serais pas mécontent qu’ils l’exhument de cette maudite cave. Ils pourraient l’accrocher dans le hall d’entrée, par exemple. Dans un endroit décent.

Je ris.

Son visage prit une expression sérieuse. Méfiante.

— Lestat ! dit-il sèchement.

— Oui, Marius.

— Tu laisses Talamasca en paix !

— Bien sûr, Marius !

Un autre haussement d’épaules. Une moue gracieuse.

— Je ne plaisante pas, Lestat. Ne t’amuse pas avec Talamasca. Tu m’as compris, n’est-ce pas ?

— Tu es parfaitement explicite, Marius. Oh, la pendule vient de sonner minuit. C’est l’heure de ma petite promenade dans l’île de Nuit. Tu m’accompagnes ?

Je n’attendis pas sa réponse. Comme je franchissais le seuil de ma chambre, je l’entendis pousser un de ces merveilleux soupirs indulgents dont il avait le secret.

 

Minuit. L’île de Nuit chantait. Je traversai la galerie grouillante de monde. Veste en jean, tee-shirt blanc, le visage à demi masqué sous d’énormes lunettes noires. Je regardai les passants s’engouffrer dans les magasins, dévorant des yeux la maroquinerie rutilante, les piles de chemises de soie sous cellophane, un long mannequin noir emmitouflé de vison.

Toute petite sur un banc, près de la fontaine d’où jaillissaient en aigrettes des myriades de gouttelettes, une vieille dame serrait un gobelet de café brûlant entre ses doigts tremblants. Elle avait du mal à porter le liquide à ses lèvres. Comme je lui souriais, elle chevrota : « Les vieux n’ont plus besoin de dormir. »

Une douce musique d’ambiance s’échappait du bar. De jeunes loubards rôdaient dans la salle de jeux vidéo. Ma soif de sang se raviva d’un coup. L’éclat et le tapage de la galerie s’éteignirent aussitôt que je détournai la tête. A travers le tambour du restaurant français, j’entrevis le geste rapide et enjôleur d’une femme qui levait une coupe de champagne. Un rire perlé. Le hall du cinéma était plein de géants blancs et noirs qui parlaient français.

Une jeune femme me dépassa. Peau hâlée, hanches voluptueuses, petite bouche boudeuse. Mon désir s’exacerba. Je le refoulai et poursuivis mon chemin. Tu n’as plus besoin de sang. Tu es maintenant aussi fort que les anciens. Mais j’en savourais déjà le goût. Je jetai un coup d’œil en arrière et la vis assise sur le banc de pierre, ses genoux nus dépassant de sa petite jupe entravée, son regard fixé sur moi.

Marius avait raison, totalement raison. Je brûlais d’insatisfaction, de solitude. Je veux l’arracher à ce banc. Sais-tu ce que je suis ! Non, ne t’installe pas sur l’autre banc. Ne l’attire pas hors de cet endroit, ne fais pas ça. Ne l’entraîne pas dans la crique, loin des lumières de la galerie, là où les rochers sont dangereux et où les vagues se brisent sur le sable blanc.

Je repensai à ce qu’elle nous avait dit, sur notre égoïsme, notre avidité ! La saveur du sang sur ma langue. Quelqu’un va mourir si je m’attarde ici...

Le bout du couloir. J’introduisis ma clé dans la porte blindée dissimulée entre le magasin de tapis chinois tissés par des petites filles et celui du buraliste qui somnole au milieu de ses pipes hollandaises, la tête cachée derrière son magazine.

Le vestibule silencieux dans les entrailles de la villa.

Quelqu’un jouait du piano. J’écoutai un long moment. C’était Pandora, et son jeu avait ce même lustre sombre et caressant, mais plus que jamais il était comme un commencement éternel – un thème qui allait s’intensifiant jusqu’à un apogée toujours différé.

Je grimpai les marches et pénétrai dans le salon. Il était évident que des vampires habitaient ce lieu. Qui d’autre aurait pu vivre à la lueur des étoiles et de quelques rares candélabres ? A l’horizon, brillaient les lumières de Miami qui jamais ne s’éteignaient.

Armand continuait à jouer et à perdre aux échecs avec Khayman. Ses écouteurs vissés sur les oreilles, Daniel écoutait du Bach tout en surveillant nonchalamment l’échiquier pour voir si une pièce avait été déplacée.

Sur la terrasse, Gabrielle contemplait la mer. Seule. Je m’approchai d’elle, lui embrassai la joue et plongeai mes yeux dans les siens. Aussitôt obtenu le petit sourire que je réclamais, je retournai errer dans la maison.

Assis dans le fauteuil de cuir noir, Marius lisait le journal, le pliant au fur et à mesure comme aurait procédé un gentleman dans un club londonien.

— Louis est parti, annonça-t-il sans interrompre sa lecture.

— Parti ! Que veux-tu dire ?

— A La Nouvelle-Orléans, précisa Armand, le regard fixé sur l’échiquier. Dans cet appartement que vous aviez là-bas. Celui où Jesse a vu Claudia.

— L’avion est prêt à décoller, ajouta Marius, toujours plongé dans son journal.

— Le chauffeur peut te déposer à la piste d’envol, suggéra Armand, lui aussi absorbé dans son jeu.

— Qu’est-ce que c’est que ce micmac ? Pourquoi tant d’obligeance ? Pourquoi irais-je rechercher Louis ?

— Je crois que tu devrais le ramener, dit Marius. Ce n’est pas bon pour lui de rester dans ce vieil appartement.

— Moi, je pense que tu devrais te remuer un peu, insista Armand. Tu es terré depuis trop longtemps ici.

— Quel fameux phalanstère vous nous préparez ! Des conseils qui pleuvent de partout, chacun qui surveille l’autre du coin de l’œil ! Pourquoi diable avez-vous laissé Louis filer à La Nouvelle-Orléans ? Vous ne pouviez pas le retenir ?

 

J’atterris à La Nouvelle-Orléans à deux heures du matin et garai la limousine place Jackson.

Tout était si propre, avec ce nouveau dallage et les chaînes tendues devant les entrées, pour que les clochards ne puissent plus dormir sur l’herbe du square comme ils l’avaient fait durant deux siècles. Et les touristes entassés dans le Café du Monde, là où naguère s’alignaient les tavernes, ces merveilleux bouges le long du fleuve où la chasse était formidable et les femmes presque aussi coriaces que les hommes.

Mais j’aimais encore cette ville, je l’aimerais toujours. Bizarrement, ses couleurs n’avaient pas changé. Et même dans ce froid glacial de janvier, elle conservait son charme tropical. Peut-être du fait de son pavement lisse, des immeubles bas, du ciel sans cesse mouvant et des toits en pente qui luisaient en ce moment sous la pluie froide.

Je m’éloignai lentement du fleuve envahi peu à peu par les souvenirs qui semblaient surgir des pavés, écoutant la musique cuivrée et brutale qui s’échappait de la rue Bourbon, puis m’enfonçant dans l’obscurité humide de la rue Royale.

Combien de fois avais-je suivi ce chemin jadis, revenant des quais, de l’Opéra ou du théâtre, et m’arrêtant à ce même endroit pour glisser ma clé dans la porte cochère ?

La maison où j’avais vécu l’espace d’une vie humaine et failli mourir deux fois !

Quelqu’un se trouvait dans le vieil appartement. En dépit de ses précautions, le parquet craquait sous ses pas.

La petite boutique du rez-de-chaussée était aveugle derrière ses fenêtres grillagées. Des bibelots en porcelaine, des poupées, des éventails en dentelle. Je levai les yeux vers la balustrade en fer forgé du balcon. J’imaginai Claudia là, sur la pointe des pieds, penchée vers moi, ses petits doigts accrochés à la barre d’appui. Sa chevelure dorée et les longs rubans violets ruisselant sur les épaules. Ma petite beauté immortelle de six ans. Lestat, où étiez-vous ?

Lui aussi devait faire pareil. Il évoquait comme moi les images du passé.

La rue était absolument silencieuse – à condition de faire abstraction du jacassement des télés derrière les volets verts et les murs enfouis sous le lierre, du tapage de la rue Bourbon, des hurlements d’un couple qui se chamaillait dans une maison de l’autre côté de la chaussée.

Mais personne aux alentours. Seulement les pavés miroitants, les magasins fermés, les grosses voitures disgracieuses garées le long du trottoir et la pluie qui tombait sans bruit sur leurs toits bombés.

Personne pour me voir reculer, me retourner, bondir comme un chat jusqu’au balcon, à la façon d’autrefois, et atterrir sur la plate-forme de bois. Je jetai un coup d’œil à travers les vitres sales des portes-fenêtres.

Les pièces vides ; les murs déchiquetés, ainsi que les avait laissés Jesse. Une planche obturait les vantaux, comme pour interdire l’accès de l’appartement. Une odeur de charpente brûlée flottait encore dans l’air après toutes ces années.

Je retirai silencieusement la planche. Mais le loquet était de l’autre côté. Allais-je utiliser mon nouveau pouvoir ? La poignée tournerait-elle ? Pourquoi était-ce si douloureux de m’y décider, de penser à elle, à cet ultime et fugitif instant où j’aurais pu l’aider, aider son corps et sa tête à se raccorder, même si elle avait eu l’intention de me détruire, même si elle ne m’avait pas appelé à son secours.

Je fixai le loquet. Tourne, ouvre-toi. Et les larmes aux yeux, j’entendis le métal grincer, je vis la tige bouger. Concentrant mon énergie, je continuai à surveiller la clenche. Alors les gonds gémirent et les vieux battants, comme poussés par un courant d’air, se dégagèrent des chambranles gauchis.

Il était dans le vestibule, sur le seuil de la chambre de Claudia.

Son manteau était peut-être un peu plus court, un peu moins ample que les redingotes de jadis mais il ressemblait tant au souvenir gravé dans ma mémoire que la douleur devint intolérable. Un instant, j’en fus comme paralysé. Il aurait aussi bien pu être un fantôme, avec ses longs cheveux noirs ébouriffés comme autrefois, ses yeux verts étonnés et mélancoliques, ses bras inertes le long de son corps.

Il n’avait certainement pas cherché à se fondre dans l’ancien décor. Pourtant il avait bien l’air d’un spectre dans cet appartement où Jesse avait eu si peur, où elle avait entrevu par éclairs terrifiants l’atmosphère révolue que je n’oublierais jamais.

Soixante années passées dans cet endroit. Soixante années. La famille sacrilège, Louis, Claudia, Lestat.

Entendrais-je le son du clavecin, si je m’y efforçais ? Claudia déchiffrant sa partition de Haydn au milieu du chant des oiseaux que la musique excitait ; et toutes ces notes mêlées qui faisaient tinter les perles de cristal autour des abat-jour en verre des lampes à huile et même le carillon éolien accroché sur le palier devant l’escalier en colimaçon.

Claudia. Un visage fait pour un médaillon. Ou un petit portrait ovale peint sur porcelaine et conservé avec une boucle de cheveux dorés au fond d’un tiroir. Comme elle aurait détesté cette image, cette image cruelle.

Claudia qui avait plongé un couteau dans mon cœur et l’avait tourné dans la plaie en regardant le sang couler sur ma chemise. Mourez, Père. J’enfermerai à jamais votre corps dans un cercueil.

Je te tuerai le premier, mon prince.

L’enfant mortelle m’apparut, allongée au milieu de couvertures souillées, dans l’odeur de la maladie. Puis la Reine aux yeux noirs, immobile sur son trône. Et je les avais toutes deux embrassées, mes Belles au bois dormant ! Claudia, Claudia, retourne-toi, Claudia... C’est ça, ma chérie, tu dois boire pour guérir.

Akasha !

Quelqu’un me secouait.

— Lestat !

Tout s’embrouillait dans ma tête.

— Oh, Louis, excuse-moi !

Le vestibule sombre et à l’abandon ; je frissonnai.

— Je suis venu parce que je m’inquiétais... pour toi.

— Ce n’était pas nécessaire, répondit-il posément. J’avais seulement un petit pèlerinage à accomplir.

J’effleurai son visage encore enfiévré du sang de sa dernière victime.

— Elle n’est pas ici, Louis, lui assurai-je. Jesse n’a fait qu’imaginer cette histoire.

— On dirait, en effet, fit-il.

— Nous sommes éternels, mais les autres ne reviennent pas.

Il m’examina longuement, puis hocha la tête.

— Viens, dit-il.

Nous parcourûmes le long vestibule. Non, je n’aimais pas du tout ça. Je n’avais pas envie de lanterner dans cet appartement. Il était hanté. Mais les hantises véritables n’ont rien à voir avec les fantômes, elles sont liées aux souvenirs. Là avait été ma chambre. La chambre où j’avais vécu.

Il s’escrimait sur la porte de service, essayant d’emboîter le battant dans son chambranle vermoulu. Je lui fis signe de sortir par le porche, puis la manœuvrai à ma façon. Voilà, elle était hermétiquement close.

Quelle tristesse de retrouver cette cour envahie par les mauvaises herbes, la fontaine cassée, la vieille cuisine ouverte aux quatre vents, et les briques retournant à la terre.

— Je réparerai tout, si tu veux, lui dis-je. On l’aménagera comme avant.

— Ça n’a plus d’importance à présent, répondit-il. Tu viens te promener avec moi ?

Nous descendîmes l’allée couverte ; l’eau ruisselait dans le petit caniveau. Je me retournai pour contempler une dernière fois le jardin. Elle était là, dans sa robe blanche ceinturée de bleu. Mais elle ne me regardait pas. J’étais mort, croyait-elle, enveloppé dans le drap que Louis avait déposé dans la calèche. Elle s’apprêtait à emporter ma dépouille pour l’enterrer. Pourtant, elle se tenait là, et nos yeux se rencontrèrent.

Il me tira par la manche.

— Ne restons pas plus longtemps, fit-il.

Je l’observai qui verrouillait la porte cochère. Puis son regard erra lentement sur les fenêtres, les balcons, les lucarnes du grenier. Se décidait-il enfin à dire adieu à cette maison ? Peut-être pas.

Nous remontâmes la rue Sainte-Anne, nous éloignant du fleuve, silencieusement, nous contentant de marcher, ainsi que nous l’avions si souvent fait autrefois. Le froid lui mordait les mains, mais il répugnait à les mettre dans ses poches, comme c’est l’habitude aujourd’hui. Il jugeait ce geste inélégant.

La pluie avait fait place à la bruine.

Il finit par dire :

— Tu m’as fait une peur bleue. J’ai cru que tu étais un fantôme quand je t’ai vu dans le vestibule. Tu n’as pas répondu lorsque je t’ai appelé.

— Et où allons-nous de ce pas ? demandai-je.

Je boutonnai ma veste en jean. Plus par habitude que par réelle nécessité.

— J’ai encore un endroit à visiter, et après nous irons où tu le désires. Au phalanstère, j’imagine. Nous n’avons plus tellement le temps. Ou bien tu peux me laisser à mes vagabondages, et je vous rejoindrai d’ici une nuit ou deux.

— Et si nous vagabondions ensemble ?

— D’accord, se hâta-t-il de répondre.

Qu’avais-je donc en tête ? Nous passâmes sous les vieilles voûtes, longeâmes les solides volets verts, les murs de briques dénudées et de plâtre écaillé pour déboucher dans la lumière aveuglante de la rue Bourbon, et alors j’aperçus devant nous l’enceinte blanchie à la chaux du cimetière Saint-Louis.

Que diable cherchais-je ? Pourquoi mon âme était-elle encore meurtrie alors que les autres, même Louis, avaient retrouvé un certain équilibre ? Et nous nous soutenions les uns les autres, comme disait Marius.

J’étais content d’être avec Louis, de flâner dans ces rues. Pourquoi ne me contentais-je pas de ce plaisir ?

Un autre portail à ouvrir. Je le regardai fracturer la serrure avec ses doigts. Puis, écrasant l’herbe haute sous nos bottes, nous pénétrâmes dans la petite cité de tombes blanches ornées de toits pointus, d’urnes et de dalles de marbre. La pluie vernissait chaque surface ; les lumières de la ville nacraient les nuages qui couraient silencieusement au-dessus de nos têtes.

J’essayai de repérer les étoiles. Quand je baissai la tête, Claudia était à mes côtés. Sa main frôla la mienne.

Alors je considérai de nouveau Louis, et vis se refléter dans ses pupilles les lumières pâles et lointaines. Je tressaillis et effleurai son visage, ses pommettes, l’arcade sous ses sourcils noirs. Comme il était beau !

— Bénies soient les ténèbres, elles sont retombées sur nous, chuchotai-je.

— Oui, dit-il tristement, et nous y régnons comme par le passé.

Il me prit la main – quelle sensation éprouvait-il maintenant à ce contact ? – et me guida dans l’allée étroite que bordaient les tombes les plus anciennes et les plus vénérables, celles qui remontaient au début de la colonie, à l’époque où nous parcourions tous deux les marécages qui menaçaient de tout engloutir, et où je me nourrissais du sang des portefaix et des coupe-jarret.

Sa tombe. Je déchiffrai machinalement son nom gravé sur le marbre en grands caractères penchés et désuets.

 

Louis de Pointe du Lac
1766-1794

 

Il s’adossa à une autre tombe, un temple décoré de colonnades comme le sien.

— J’avais envie de la revoir, dit-il.

Il tendit le bras et passa son doigt sur l’inscription.

Elle était à peine érodée par les intempéries qui avaient patiné la pierre, et la poussière qui s’y était incrustée l’avait rendue plus lisible. Songeait-il à ce qu’avait été le monde en ce temps-là ?

Je me rappelai ses rêves à elle, son jardin de paix sur terre, où du sol imbibé de sang jailliraient des fleurs.

— Nous pouvons rentrer à la maison maintenant, murmura-t-il.

La maison. Je souris et touchai les tombes voisines. Puis j’observai le reflet moiré des lumières contre les nuages turbulents.

— Tu ne vas pas nous quitter ? dit-il tout à coup d’une voix où perçait la panique.

— Non. (J’aurais tant souhaité pouvoir parler de toutes ces choses que j’avais écrites dans mon livre.) Tu sais, nous nous aimions, elle et moi, comme une femme et un homme mortels.

— Bien sûr que je le sais.

Je l’embrassai, émerveillé par la tiédeur de sa peau, sa souplesse presque humaine. Seigneur, comme je haïssais la blancheur de mes doigts qui le caressaient, mes doigts qui auraient pu le broyer sans effort. Je me demandai s’il en avait seulement conscience.

J’avais tant à lui raconter, à lui demander. Mais les mots me fuyaient. Lui-même s’était toujours tellement interrogé, et maintenant il possédait les réponses, plus de réponses qu’il n’en pouvait désirer peut-être. Et ce nouveau savoir, que lui avait-il apporté ? Je le dévisageais stupidement. Comme il me semblait parfait, attendant ainsi, avec tant de patiente gentillesse, que j’émerge de ma rêverie. Et alors, comme un imbécile, je lançai :

— Tu m’aimes encore ?

Il sourit. Quelle torture, ce sourire qui soudain adoucissait et illuminait ses traits.

— Oui, répondit-il.

— Tu serais tenté par une petite aventure ?

Les battements de mon cœur s’accélérèrent tout à coup. Ce serait si formidable s’il...

— Tu as envie d’enfreindre les nouvelles règles ?

— Que diable veux-tu dire ? souffla-t-il.

J’éclatai d’un rire bas, fiévreux. C’était si bon de rire et de voir son expression se modifier imperceptiblement. Ce coup-là, il était véritablement inquiet. Du reste, pour être honnête, j’ignorais si mon projet était réalisable. Sans son aide à elle. Et si je me mettais à piquer du nez comme Icare ?...

— Allons, Louis, le provoquai-je. Juste une petite escapade. Je te jure que cette fois-ci je ne vise pas à réformer la civilisation occidentale, ni même à capter l’attention de deux millions de fans. Je songe à quelque chose de beaucoup plus modeste. Seulement une petite blague. Et pas de trop mauvais goût. J’ai été terriblement sage ces deux derniers mois, tu ne trouves pas ?

— De quoi parles-tu, bon sang ?

— Tu es de mon côté ou non ?

Il hocha la tête. Mais ce n’était pas vraiment un « non ». Il réfléchissait. Il se passa la main dans les cheveux. De si beaux cheveux noirs. La première chose que j’avais remarquée chez lui – après ses yeux verts, bien entendu. Non, je mentais. Ç’avait d’abord été son expression, cette ferveur, cette candeur, cette délicatesse d’âme qui m’avaient conquis.

— Quand débuterait cette petite aventure ?

— Tout de suite. Tu as quatre secondes pour te décider.

— Lestat, l’aube va se lever dans un instant.

— Ici, répliquai-je.

— Que veux-tu dire ?

— Louis, fais-moi confiance. Écoute, si je rate mon coup, tu ne te feras pas mal. Pas trop, en tout cas. Tope là ? Décide-toi. Je veux partir sans tarder.

Il ne répondit pas. Il m’observait avec tant d’affection que j’en avais le cœur déchiré.

— Oui ou non ?

— Je vais sans doute le regretter, mais...

— Alors, d’accord.

Je lui empoignai les avant-bras et le soulevai haut dans les airs. Il baissa sur moi un regard ahuri. Il me semblait léger comme une plume. Je le reposai par terre.

— Mon Dieu, murmura-t-il.

Eh bien, pourquoi lanternais-je ? Si je n’essayais pas, jamais je ne saurais ce dont j’étais capable. Une vague d’angoisse me submergea de nouveau – je me souvenais d’elle, de nos courses à travers le ciel. Je laissais lentement refluer la douleur.

Je le saisis par la taille. En haut, maintenant. Je levai mon bras libre, mais ce n’était même pas nécessaire. Déjà nous cinglions à toute allure dans le vent.

En bas, le cimetière tournoyait, minuscule jouet semé de petits points blancs sous le feuillage sombre.

Louis haletait d’étonnement contre mon oreille.

— Lestat !

— Mets tes bras autour de mon cou, lui ordonnai-je. Agrippe-toi. Nous nous dirigeons vers l’ouest, bien sûr, puis nous piquerons vers le nord, et nous avons une longue route à parcourir. Peut-être nous laisserons-nous dériver quelque temps. Le soleil ne va pas se lever avant un bon moment, là où nous allons.

Le vent était glacial. J’aurais dû y penser, mais Louis n’avait pas l’air d’en souffrir.

Quand les étoiles lui apparurent, je le sentis se contracter. Son visage était parfaitement lisse et serein. Et s’il pleurait, la bourrasque emportait ses larmes. Il n’avait plus peur, à présent. Perdu dans l’immensité, il contemplait la voûte céleste qui se rapprochait et la lune qui brillait sur la plaine infinie de blancheur au-dessous de nous.

Pas besoin de lui indiquer ce qu’il devait observer et graver dans sa mémoire. Il le savait toujours. Des années auparavant, quand j’avais célébré sur lui la Transfiguration Obscure, je n’avais rien eu à lui expliquer. Il avait goûté de lui-même chacun des détails du rituel. Plus tard, il m’avait reproché de ne pas l’avoir guidé. Ignorait-il combien c’était inutile ?

Mais je planais maintenant, physiquement et mentalement, son corps contre moi, tout à la fois léger et douillet. Une pure présence. Pas un fardeau. Mon Louis qui m’appartenait à nouveau.

Je traçai minutieusement notre trajectoire, n’appliquant à cette tâche qu’une infime part de mon esprit, comme elle me l’avait enseigné. Et les souvenirs m’assaillaient. Notre première rencontre, par exemple, dans cette taverne de La Nouvelle-Orléans, où il était en train de se bagarrer, complètement ivre. Je l’avais suivi dans la nuit. Et les yeux à demi clos, juste avant que je ne relâche mon étreinte, il avait murmuré : « Mais qui êtes-vous ? » Je savais que je repartirais à sa recherche dès le coucher du soleil, que je le trouverais, dussé-je fouiller la ville entière, même si je l’abandonnais alors à demi mort sur le pavé. Il fallait que je le conquière. Il le fallait. De même qu’il me fallait obtenir tout ce que je voulais, faire tout ce que je désirais.

Là était le problème, et rien de ce qu’elle m’avait donné – ni la souffrance, ni le pouvoir, ni la terreur – n’y avait changé quoi que ce soit.

 

Six kilomètres de Londres.

Une heure après le coucher du soleil. Nous étions allongés côte à côte sous un chêne, dans l’obscurité glaciale. Une faible lumière venait de l’énorme manoir au milieu du parc. Les étroites et profondes fenêtres à petits carreaux paraissaient construites pour la retenir. Confortable ce lieu, engageant, avec tous ces murs tapissés de livres et les flammes qui dansaient dans les innombrables âtres. Et la fumée qui montait des cheminées en crachotant dans la nuit brumeuse.

De temps à autre, une voiture serpentait sur la route au-delà du portail, et le pinceau des phares balayait la vieille façade, révélant les gargouilles, les lourds cintres au-dessus des fenêtres, les heurtoirs polis des portes massives.

J’ai toujours adoré ces antiques demeures européennes, grandes comme des paysages. Pas étonnant qu’elles incitent les esprits des morts à revenir.

Louis se redressa soudain, regarda autour de lui, puis s’empressa d’épousseter les brins d’herbe sur son veston. Il avait dormi des heures sur la poitrine du vent, pourrait-on dire, et dans les endroits où j’avais fait halte attendant que le globe poursuive sa rotation.

— Où sommes-nous ? murmura-t-il, une pointe de panique dans la voix.

— A la périphérie de Londres. Dans la maison mère de Talamasca, dis-je.

J’étais étendu là, les bras croisés sous la nuque. Le dernier étage, les salons du rez-de-chaussée étaient éclairés. Je m’interrogeais sur la façon la plus amusante de procéder.

— Que faisons-nous ici ?

— Une escapade, je te l’ai dit.

— Une seconde. Tu n’as pas l’intention de t’introduire dans cette maison ?

— Tu crois ? Ils ont le journal de Claudia et le tableau de Marius dans leurs caves. Tu es au courant, non ? Jesse t’en a parlé ?

— Et alors, que comptes-tu faire ? Défoncer une porte et fourrager dans les caves jusqu’à ce que tu aies trouvé ce que tu veux ?

Je ris.

— Pas très divertissante ta suggestion, qu’en penses-tu ? Et en plus, un boulot de tous les diables. D’autant que ce n’est pas du journal dont j’ai vraiment envie. Ils peuvent le garder. Il était à Claudia. Je veux rencontrer l’un d’entre eux, David Talbot, le chef. Ils sont les seuls mortels au monde qui croient véritablement en nous, tu sais.

Un pincement au cœur. Ignore-le. La partie de plaisir commence.

Pour l’instant, il était trop scandalisé pour répondre. C’était encore plus délicieux que je ne l’avais imaginé.

— Essaye pour une fois d’être sérieux, hoqueta-t-il, indigné. Laisse ces gens tranquilles. Ils croient que Jesse est morte. Ils ont reçu une lettre d’un membre de sa famille.

— Bien sûr que je n’ai pas l’intention de les détromper. Pourquoi le ferais-je ? Mais celui qui est venu au concert – David Talbot, le plus vieux – m’intéresse. Je suppose que j’aimerais savoir... Oh, et puis c’est trop long à expliquer. Mieux vaut entrer et éclaircir la question.

— Lestat !

— Louis ! fis-je en le singeant.

Je me levai et le hissai sur ses pieds, non parce qu’il avait besoin qu’on l’aide, mais parce qu’il restait là, à me résister et à se creuser les méninges pour savoir comment me contrer, ce qui constituait une perte de temps totale.

— Lestat, Marius sera furieux si tu fais ça ! me menaça-t-il, les traits tendus, les pommettes plus saillantes que jamais, ses yeux verts pénétrants, la physionomie brillant d’un feu admirable. La règle fondamentale est...

— Là, tu me mets l’eau à la bouche, Louis.

Il m’empoigna par le bras.

— Et Maharet, y as-tu songé ? Ces gens étaient des amis de Jesse !

— Que fera-t-elle à ton avis ? Elle m’expédiera Mekare pour m’écraser la tête comme une coquille d’œuf !

— Tu dépasses les bornes ! Tu n’as donc rien appris ?

— Tu m’accompagnes ou non ?

— Tu n’entreras pas dans cette maison.

— Tu vois cette fenêtre, là-haut ? (Je lui encerclai la taille de manière à le maintenir prisonnier :) David Talbot est dans cette pièce à écrire dans son journal depuis environ une heure. Il est très inquiet. Il ignore ce qui nous est arrivé. Il se doute de quelque chose, sans parvenir à déterminer l’exacte vérité. Bon, nous allons pénétrer dans la chambre voisine par la lucarne à gauche.

Il émit une timide protestation, mais j’étais occupé à me concentrer sur la fenêtre, essayant de me représenter son système de fermeture. A combien de mètres se trouvait-elle ? Je sentis la tempête faire rage dans mon cerveau et vis aussitôt le minuscule rectangle quadrillé pivoter sur ses gonds. Il le vit aussi et, profitant qu’il demeurait là, bouche bée, je resserrai mon étreinte plus fort et décollai.

Une seconde plus tard, nous atterrissions dans une petite chambre de style élisabéthain, avec des boiseries sombres, de beaux meubles d’époque et un grand feu dans la cheminée.

Louis était ivre de rage. Il me foudroya du regard, tout en remettant rapidement de l’ordre dans sa tenue. J’aimais cette pièce. Les livres de David Talbot. Son lit.

Notre hôte, assis à la table de son bureau, sous la lumière d’un abat-jour vert, nous fixait par l’entrebâillement de la porte. Il était vêtu d’une magnifique veste d’intérieur de soie grise nouée à la taille. Son stylo à la main, il se tenait aussi immobile qu’une créature des bois flairant la présence d’un prédateur, avant la vaine et inévitable tentative de fuite.

Ah, quel délice !

Je l’étudiai un moment. Des cheveux poivre et sel, des yeux d’un noir lumineux, une physionomie régulière, expressive, chaleureuse, respirant l’intelligence. Le tout conforme au portrait qu’en avaient fait Jesse et Khayman.

Je pénétrai dans le bureau.

— Veuillez m’excuser, dis-je. J’aurais dû me faire annoncer. Mais je désirais que notre entretien demeure privé. Vous savez qui je suis, bien sûr.

Mon préambule l’interloqua quelque peu.

J’inspectai discrètement la table. Nos dossiers, d’impeccables classeurs entoilés sur lesquels s’étalaient des noms familiers : « Théâtre des Vampires », « Armand », « Benjamin le Démon »... et « Jesse ».

Jesse. A côté de son classeur était posée la lettre de sa tante Maharet. La lettre qui annonçait son décès.

Je patientai, me demandant si je devais le laisser parler le premier, bien que ce ne fût pas dans mes habitudes. Il m’observait avec attention, infiniment plus d’attention que je n’avais moi-même mis à le faire. Il gravait mes traits dans sa mémoire, utilisant les méthodes mnémotechniques qu’il avait apprises afin d’enregistrer les détails et de s’en souvenir plus tard quelle que fût l’expérience à laquelle il se livrait.

Grand, plutôt corpulent. Une charpente solide. Des mains osseuses et bien dessinées. Des ongles soignés. Un authentique gentleman britannique. Un amateur de tweed, de cuir, de boiseries sombres et de thé ; quelqu’un qui appréciait l’obscurité humide du parc et le confort luxueux de cette maison.

Dans les soixante-cinq ans. Un bon âge. Il possédait un savoir inaccessible aux hommes plus jeunes. Un âge équivalent à celui de Marius dans les temps anciens, pas vraiment avancé pour le XXe siècle.

Ayant repéré la présence de Louis dans l’autre pièce, il jeta un coup d’œil dans cette direction avant de me dévisager une nouvelle fois.

Alors, à ma stupéfaction, il se leva et me tendit la main.

— Comment allez-vous ? fit-il.

Je ris et lui serrai énergiquement la main tout en notant sa réaction, sa stupeur au contact froid et dur de mes doigts.

Il était terrifié, mais aussi extraordinairement curieux et intéressé.

D’un ton aimable et courtois, il dit :

— Jesse n’est pas morte, n’est-ce pas ?

Étonnant la façon dont les Britanniques manient le langage. Cette gamme de nuances dans la politesse. Les plus habiles diplomates au monde, à coup sûr. Je me surpris à me demander à quoi pouvaient bien ressembler leurs gangsters. Pourtant sa voix trahissait tant de chagrin de la disparition de Jesse que je ne me sentis pas le droit, moi, d’ignorer le chagrin d’un autre.

Je le considérai gravement.

— Si, répondis-je. Ne vous y trompez pas, elle est bien morte.

Je soutins son regard afin de dissiper tout malentendu entre nous.

— Oubliez-la, ajoutai-je.

Il hocha la tête, détourna un instant les yeux, puis me fixa de nouveau avec autant de curiosité qu’avant.

Je pivotai sur moi-même et distinguai dans l’ombre de la chambre Louis qui se tenait à l’angle de la cheminée et me surveillait avec mépris et réprobation. Mais ce n’était pas le moment de ricaner. Je n’en avais aucune envie. Je songeais à quelque chose que Khayman m’avait dit.

— Puis-je vous poser une question ?

— Oui.

— Je me suis introduit ici. Sous votre toit. Admettons que je descende dans votre cave au lever du soleil et que je sombre dans l’inconscience. Vous voyez ce que je veux dire. (J’esquissai un petit geste décontracté.) Que feriez-vous ? Vous me tueriez durant mon sommeil ?

Il réfléchit deux secondes.

— Non.

— Mais vous savez ce que je suis. Vous en avez la certitude, n’est-ce pas ? Pourquoi ne le feriez-vous pas ?

— Pour plusieurs raisons. J’aurais envie d’en connaître plus à votre sujet, de parler avec vous. Non, je ne vous tuerais pas. Pour rien au monde.

Je le scrutai. Il était sincère. D’instinct, il lui aurait paru terriblement cruel et irrespectueux de tuer une chose aussi mystérieuse et ancienne que moi.

— Exactement, dit-il avec un petit sourire.

Un liseur de pensées. Pas très fort, cependant. Uniquement les pensées superficielles.

— N’en soyez pas si certain.

De nouveau, la remarque était empreinte d’une remarquable politesse.

— Une seconde question, lançai-je.

— Je vous en prie.

Il était vraiment intrigué cette fois. La peur s’était volatilisée.

— Désirez-vous le Don Obscur ? Devenir l’un des nôtres, vous savez.

Du coin de l’œil, je vis Louis secouer la tête, puis me tourner rageusement le dos.

— Je ne vous promets pas de vous l’accorder. Selon toute probabilité, je n’en ferai rien. Mais le désirez-vous ? Si j’y étais disposé, l’accepteriez-vous ?

— Non.

— Oh, allez !

— Jamais de la vie je ne l’accepterais. Je le jure devant Dieu.

— Vous ne croyez pas en Dieu, vous savez bien que vous n’y croyez pas.

— Ce n’est qu’une expression, mais le fond est vrai.

Je souris. Une figure si affable, si animée. J’étais à tel point grisé que le sang circulait dans mes veines avec une vigueur toute nouvelle. Le devinait-il ? Mon aspect était-il moins monstrueux ? Manifestais-je tous ces petits signes d’humanité que je discernais chez les autres quand ils étaient heureux ou absorbés ?

— Je doute qu’il vous reste toute une vie pour changer d’avis, déclarai-je. Vous n’avez plus tellement de temps devant vous, à y bien réfléchir.

— Jamais je ne changerai d’avis, répliqua-t-il en souriant.

Un instant, il joua avec son stylo, machinalement, nerveusement, puis immobilisa ses mains.

— Je ne vous crois pas.

J’examinai la pièce, m’arrêtant sur une petite peinture hollandaise dans son cadre laqué : une maison à Amsterdam, au-dessus d’un canal. Je remarquai alors le givre sur les carreaux de la fenêtre. La nuit effaçait tout à l’extérieur. Je me sentis triste soudain. Pas autant qu’auparavant toutefois. J’avais seulement conscience de la solitude amère qui m’avait conduit ici, du sentiment de frustration qui m’avait poussé à m’introduire dans ce bureau, à affronter son regard, à l’entendre me dire qu’il savait qui j’étais.

La chape retomba sur moi. J’étais incapable de prononcer un mot.

— Oui, dit-il timidement derrière moi. Je sais qui vous êtes.

Je me retournai vers lui. Il me sembla que je pleurais subitement. Je pleurais à cause de l’intimité douillette de cet endroit, de l’odeur des objets humains, de la vue d’un homme vivant debout devant un bureau. Je serrai les dents. Je n’allais pas perdre mon sang-froid, c’était ridicule.

— Tout ça est fascinant, dis-je. Vous ne me tueriez pas, mais vous refuseriez de devenir mon semblable.

— Exact.

— Non, je ne vous crois pas, répétai-je.

Une ombre passa sur son visage. Une ombre révélatrice. Il redoutait que je perçoive en lui une faille qu’il ignorait lui-même.

Je pointai mon index vers son stylo.

— Vous permettez ? Et je voudrais aussi une feuille de papier, s’il vous plaît.

Il me les donna aussitôt. Je m’assis dans son fauteuil. Tout était impeccable sur la table : le tampon buvard, le cylindre de cuir dans lequel il rangeait ses crayons, et même les classeurs entoilés. Aussi impeccable que lui, planté à côté de moi à me regarder écrire.

— C’est un numéro de téléphone, expliquai-je en lui mettant le papier dans la main. Un numéro à Paris, celui d’un avoué qui me connaît sous mon nom véritable, Lestat de Lioncourt, que vous avez déjà noté, j’imagine, dans vos archives. Bien sûr, cet homme ne sait pas comme vous qui je suis. Mais il peut me joindre. Ou peut-être serait-il plus juste de dire que je suis en contact permanent avec lui.

Sans un mot, il lut les chiffres et les mémorisa.

— Gardez cette feuille, ordonnai-je. Et quand vous aurez changé d’avis, quand vous désirerez l’immortalité et que vous serez prêt à me faire part de votre volonté, composez ce numéro. Je viendrai aussitôt.

Il allait protester, mais je lui fis signe de se taire.

— On ne sait jamais ce qui peut arriver, repris-je en me carrant dans son fauteuil, les bras croisés sur la poitrine. Vous pouvez apprendre que vous avez une maladie mortelle ou vous retrouver infirme après une mauvaise chute. Ou simplement vous mettre à cauchemarder sur votre propre mort, sur ce néant qui vous attend. Peu importe. Lorsque vous serez décidé à accepter ce que j’ai à vous offrir, appelez ce numéro. Mais souvenez-vous que je ne vous ai rien promis. Peut-être ne le ferai-je jamais. Néanmoins, quand vous aurez pris cette décision, le dialogue pourra commencer entre nous.

— Il est déjà commencé.

— Absolument pas.

— Parce que vous pensez que vous ne reviendrez pas ? Moi je suis persuadé du contraire, que je vous appelle ou non.

Une nouvelle petite surprise. Une petite blessure d’amour-propre. Malgré moi, je lui souris. C’était un homme vraiment intéressant.

— Espèce de saint Jean Bouche d’or, lui lançai-je. Comment osez-vous me traiter avec cette condescendance ? Je ferais aussi bien de vous tuer tout de suite.

J’avais mis dans le mille. Il était médusé. Il le cachait plutôt bien, mais je le voyais quand même. Je savais combien je pouvais avoir l’air effrayant, surtout quand je souriais.

Il se ressaisit à une allure stupéfiante, plia le bout de papier et le glissa dans sa poche.

— Je vous prie de m’excuser, fit-il. Je voulais dire que j’espérais vous revoir.

— Dans ce cas, composez le numéro.

Nous nous mesurâmes du regard, puis je lui décochai un autre sourire et me levai pour prendre congé. Je jetai un dernier coup d’œil sur la table.

— Pourquoi n’ai-je pas mon propre dossier ? m’enquis-je.

Il devint blanc comme un linge, puis se reprit, miraculeusement encore.

— Vous avez votre livre, répondit-il en désignant Le Vampire Lestat placé sur une étagère.

— En effet, merci de me le rappeler. (J’hésitai une seconde.) N’empêche que vous devriez me faire un dossier, je crois.

— D’accord. Je vais le constituer dès ce soir. C’était juste... une question de temps, vous savez.

Je ne pus m’empêcher de glousser. Il était si courtois. J’esquissai un petit salut auquel il répondit de bonne grâce.

Puis je passai devant lui, aussi vite que je le pus, ce qui était plutôt spectaculaire ; j’empoignai Louis et filai immédiatement par la lucarne, survolant le parc jusqu’à un tronçon isolé de route où je me posai.

Il faisait plus froid et sombre ici, sous les branchages des chênes qui masquaient la lune. J’aimais cette obscurité. Oh, comme j’aimais les ténèbres ! Je restai planté là, les mains enfoncées dans mes poches, à contempler le halo laiteux au-dessus de Londres et à jubiler intérieurement.

— C’était sensationnel, parfait ! commentai-je en me frottant les mains puis en saisissant celles de Louis qui étaient encore plus glacées que les miennes.

Son expression m’enchanta. J’allais finir par attraper un fou rire.

— Tu n’es qu’un ignoble personnage, dit-il. Comment as-tu pu agir ainsi envers ce pauvre homme ! Tu es un démon, Lestat. On devrait t’emmurer dans un donjon !

— Du calme, Louis, hoquetai-je entre deux éclats de rire. Qu’attendais-tu d’autre de moi ? D’autant que ce type n’allait pas tomber raide fou, il étudie le surnaturel. Mais quelle image avez-vous donc de moi, tous autant que vous êtes ? (J’entourai son épaule de mon bras.) Viens, allons faire un tour à Londres. Ce n’est pas la porte à côté, mais il est encore tôt. Je ne connais pas cette ville. J’ai envie de me balader dans les quartiers de West End et de Mayfair. De visiter la Tour. Je veux me nourrir à Londres ! Dépêche-toi.

— Lestat, cette affaire n’est pas une plaisanterie. Marius va être furieux, les autres aussi !

Mon fou rire redoubla. Nous nous mîmes en route à vive allure. C’était si amusant de marcher. Jamais rien ne remplacerait ce plaisir, le simple acte de mouvoir ses jambes en cadence, de sentir la terre sous ses pieds, et la douce odeur qui montait des cheminées disséminées dans l’obscurité, la senteur humide de l’hiver dans ces bois. Oh, quelle merveilleuse escapade ! A Londres, nous dénicherions un bon manteau pour Louis, un long pardessus noir avec un col de fourrure afin qu’il ait aussi chaud que moi en ce moment.

— Tu m’écoutes ou quoi ? trompeta Louis. Tu n’as décidément rien appris, hein ? Tu es encore plus incorrigible qu’avant !

Je partis d’un nouvel éclat de rire.

Puis je songeai à David Talbot, à son expression quand il m’avait défié. Sans doute avait-il raison. Sans doute reviendrais-je. Qui m’empêcherait de revenir lui parler si j’en avais envie ? Qui donc ? Mais autant lui donner un peu de temps pour ruminer ce numéro de téléphone et perdre de son flegme.

L’amertume m’envahit de nouveau, et une lourde tristesse s’abattit sur moi, menaçant de balayer mon petit triomphe. Mais je ne me laisserais pas démonter. La nuit était trop belle. Et la diatribe enflammée de Louis devenait de plus en plus désopilante.

— Tu es un vrai démon, Lestat ! tempêtait-il. Voilà ce que tu es ! Le démon en personne !

— Oui, je sais, répondis-je en observant avec ravissement la colère animer son visage. Et j’aime t’entendre prononcer cette phrase. J’ai besoin de t’entendre la prononcer. Jamais personne ne la dira comme toi. Allez, répète : « Lestat, tu es le démon en personne. » Dis-moi combien je suis mauvais. Dis-le moi encore. C’est si bon.

Fin du tome 3

 



[1] Terme tibétain désignant la condition pénible de l’âme pendant le temps qui sépare la mort d’une nouvelle naissance.

[2] Auteur célèbre de livres sur les bonnes manières.

[3] Chaîne de magasins d’alimentation ouverts toute la nuit.

[4] ancien peuple précolombien s’étant épanoui de 1200 av. J.-C. jusqu’à 500 av. J.-C. sur une vaste partie de la côte du Golfe, dans le bassin de Mexico, et le long de la côte Pacifique jusqu’au sud du Costa Rica. (NScan)

[5] Héros anglo-saxon célébré dans un long poème épique de l’époque préchrétienne.

[6] Étoffe ou tapis dont la trame est constituée de lanières de tissu usagé. (NScan)

[7] Être légendaire de la Kabbale, sorte de robot, créé à l’image d’Adam.

[8] Dans la mythologie égyptienne, double d’essence divine qui se sépare du corps au moment de la mort et se réunit au cadavre momifié selon les prescriptions rituelles.

[9] Ancienne cité grecque ionienne, pourvue d’un bon port, sur la côte d’Asie Mineure. (NScan)

La Reine des Damnés
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